29.6.13

Il est bien dommage qu'en français " sublime " ne rime avec Pouchkine car ç'eût été justice, pour un flamboyant tel, qu'un mot tel que " sublime " rimât avec son patronyme. Le français est mal fait et c'est une méchante langue, car l'on perd en le parlant les trésors uniques et la mélodie douce du Russe-Chantant.
Le Russe-Chantant est un très timide enfant, qui ne se montre que fort rarement. Si vous regardez clair, si vous écoutez bien, au creux du calamus noirci d'encre de spleen la plume qui servit jadis à
Pouchkine pour brosser son Onéguine, vous croiserez son petit regard espiègle, sa musique et sa voix. N'allez surtout point quêter ailleurs — Malheureux ! — vous seriez horriblement déçus.
Quel drôle de truc, franchement, que cet
Eugène Onéguine ! Un roman, oui, mais un roman en vers, ce qui est déjà plus rare, et qui plus est rythmé uniformément de strophes de 14 vers, comme autant de poèmes soudés les uns aux autres.
Chaque strophe onéguienne est composée de trois quatrains (le premier en rimes croisées, le second en rimes plates et le troisième en rimes embrassées), lesquels 12 vers sont flanqués de deux derniers vers en rimes plates qui viennent clôturer la strophe.
Il y a donc une rythmique et une musique forte et incomparable dans cet étonnant roman et je tiens à signaler dès à présent la gageure (pour ne pas dire l'hérésie folle et vaine) que d'essayer de le traduire comme tel en français.
Personnellement, avant de me lancer dans cette lecture, j'ai comparé la traduction rimée d'
André Markowicz chez Babel et la traduction non rimée de Jean-Louis Backès pour Folio. Ma préférence est allée, et de loin, à cette dernière, car il a compris qu'il n'arriverait jamais à tout retranscrire de l'écriture de Pouchkine et a donc fait un choix, que je juge judicieux.
Il a laissé tombé les rimes et les nombres de pieds, par contre, il a choisi de conserver le rythme et la fluidité du verbe. le résultat est vraiment remarquable, car à plein de moments, j'avais l'impression de lire de la poésie, de la belle et vraie poésie, sans la moindre rime ni le plus petit respect de la quantité syllabique.
Chapeau bas, donc, pour
Jean-Louis Backès avec cette belle traduction très osée.
Vous dire que l'ensemble de l'œuvre me laisse rêveuse serait mentir, j'ai surtout goûté l'esprit espiègle de l'auteur et sa flamboyance stylistique, son romantisme pur jus première pression à froid, directement inspirée de Byron.
Eugène Onéguine, c'est l'histoire d'une rencontre. C'est l'histoire d'un avortement amoureux. C'est l'histoire d'une erreur de timing qui rend chacun malheureux.
Eugène est un dandy russe, viveur mais déjà blasé, des choses comme des gens, des amours également. Fuyant l'univers mondain, il se réfugie à la campagne, tâcher de redonner quelque sens à sa vie.
Tatiana, elle, est jeune, intacte, non encore abîmée dans ses rêves et dans sa vie, prête à croire et à s'enflammer.
Onéguine est celui qu'elle attend, au creux de ses rêves. Mais elle, est-elle celle qu'Onéguine espère ?
Olga, la sœur de Tatiana en pince pour Lenski, l'ami d'Onéguine.
Deux amours, un orgueil offensé, en faut-il davantage pour convoquer un duel ? le reste, je vous le laisse à découvrir.
C'est surprenant de savoir, après coup, combien le duel dépeint dans
Eugène Onéguine annonce la fin réelle d'Alexandre Pouchkine, mort lui aussi dans un duel, par un froid hiver...
Adieu
Pouchkine, adieu l'ami...

filme completo-Onegin (Ralph Fiennes and Liv Tyler) -full movie






 

Онегин (Фильм)





Onegin



Eugene Onegin, un aristocrate désenchanté, déménage dans un village à proximité de Saint-Petersbourg. Par le biais de Vladimir Lensky, un voisin bien nanti et poète, il fait la connaissance de Tatyana Larin, une jeune femme romantique, qui tombe amoureuse de lui au premier regard. Il n'a que faire de son amour et la rejette.
Lensky le pousse à un duel pour obtenir le coeur de Tatyana et Eugene le tue. Il perd alors de vue cette dernière qui se marie à un homme qu'elle n'aime pas.
Quelques années plus tard, Eugene retrouve Tatyana, qui fait maintenant partie de la haute société russe, et succombe à son charme. Mais à son tour, elle rejette son amour, non pas parce qu'elle ne l'aime plus, mais parce qu'elle doit rester fidèle aux voeux de son mariage...

28.6.13


Письмо Татьяны к Онегину


Я к вам пишу – чего же боле?
 
Что я могу еще сказать?

Теперь, я знаю, в вашей воле
 
Меня презреньем наказать.

Но вы, к моей несчастной доле

Хоть каплю жалости храня,

Вы не оставите меня.

Сначала я молчать хотела;

Поверьте: моего стыда

Вы не узнали б никогда,

Когда б надежду я имела

Хоть редко, хоть в неделю раз

В деревне нашей видеть вас,

Чтоб только слышать ваши речи,

Вам слово молвить, и потом

Все думать, думать об одном

И день и ночь до новой встречи.

Но, говорят, вы нелюдим;
 
В глуши, в деревне всё вам скучно,

А мы... ничем мы не блестим,

Хоть вам и рады простодушно.
Зачем вы посетили нас?

В глуши забытого селенья

Я никогда не знала б вас,

Не знала б горького мученья.

Души неопытной волненья

Смирив со временем (как знать?),

По сердцу я нашла бы друга,

Была бы верная супруга

И добродетельная мать.

Другой!.. Нет, никому на свете

Не отдала бы сердца я!

То в вышнем суждено совете...

То воля неба: я твоя;

Вся жизнь моя была залогом

Свиданья верного с тобой;

Я знаю, ты мне послан богом,

До гроба ты хранитель мой...

Ты в сновиденьях мне являлся,

Незримый, ты мне был уж мил,

Твой чудный взгляд меня томил,

В душе твой голос раздавался

Давно...нет, это был не сон!

Ты чуть вошел, я вмиг узнала,

Вся обомлела, запылала

И в мыслях молвила: вот он!

Не правда ль? Я тебя слыхала:

Ты говорил со мной в тиши,

Когда я бедным помогала

Или молитвой услаждала

Тоску волнуемой души?

И в это самое мгновенье

Не ты ли, милое виденье,

В прозрачной темноте мелькнул,

Приникнул тихо к изголовью?

Не ты ль, с отрадой и любовью,

Слова надежды мне шепнул?

Кто ты, мой ангел ли хранитель,

Или коварный искуситель:

Мои сомненья разреши.

Быть может, это всё пустое,

Обман неопытной души!

И суждено совсем иное...

Но так и быть! Судьбу мою
 
Отныне я тебе вручаю,

Перед тобою слезы лью,

Твоей защиты умоляю...

Вообрази: я здесь одна,

Никто меня не понимает,

Рассудок мой изнемогает,

И молча гибнуть я должна.

Я жду тебя: единым взором

Надежды сердца оживи,

Иль сон тяжелый перерви,

Увы, заслуженным укором!
Кончаю! Страшно перечесть...

Стыдом и страхом замираю...

Но мне порукой ваша честь,

И смело ей себя вверяю...



LETTRE DE TATIANA A ONEGUINE




Je vous écris; voilà. C'est tout.



Et je n'ai plus rien à vous dire.

Maintenant, je sais, vous pouvez

Me mépriser pour me punir.

Mais vous aurez pour mon malheur

Juste un petit peu de pitié.

Vous ne m'abandonnerez pas.

Au début, je voulais me taire.

Croyez-moi : vous n'auriez jamais

Rien su de ce qui fait ma honte,

Si j'avais pu avoir l'espoir

De vous voir dans notre village

Peut-être une fois par semaine,

Juste d'entendre votre voix,

De vous dire un mot, pour, ensuite,

Jour et nuit, penser et penser,

Jusqu'à ce que vous reveniez.

Oui, mais on vous dit misanthrope.

Notre campagne vous ennuie.

Ce que nous offrons est bien peu.

Mais nous vous l'offrons de bon coeur.

Il a fallu que vous veniez.

Perdue au fond de mon village,

J'aurais pu ne pas vous connaître,

Ignorer cet affreux tourment.

Le trouble de mon coeur naïf

Aurait passé avec le temps

( Qui sait ? ) et j'aurais rencontré

Un compagnon ; j'aurais été

Fidèle épouse et bonne mère.

Un autre ! Non, personne au monde.

Mon coeur n'était pas fait pour eux.

Le ciel en avait décidé ;

Il l'a voulu : je suis à toi.

Toute ma vie fut la promesse

De cette rencontre avec toi.

C'est Dieu qui t'envoie, je le sais

Pour me garder jusqu'à la mort...

Tu apparaissais dans mes rêves ;

Sans te voir, je te chérissais.

Ton regard me faisait languir,

Ta voix résonnait dans mon âme

Depuis toujours... En vérité

Je t'ai reconnue tout de suite.

Ce fut en moi un froid, un feu,

Et dans mon coeur, j'ai dit : c'est lui !

Je t'entendais, tu le sais bien.

Tu me parlais dans le silence,

Quand j'allais secourir les pauvres

Ou quand la prière apaisait

L'angoisse de mon âme en peine.

Et maintenant, à l'instant même,

C'est toi qui vient de te glisser,

Chère vision, dans la pénombre,

De te pencher à mon chevet,

De me dire des mots d'espoir,

Ces mots d'amour qui me consolent.

Qui es-tu ? Mon ange gardien ?

Ou le perfide tentateur ?

Je doute. Viens me rassurer.

Tout cela, serait-ce un mirage ?

Mon âme naïve se trompe !

Et l'avenir sera tout autre ...

Eh bien ! J'y consens ! A jamais

Je te confie ma destinée.

Je suis là devant toi, je pleure.

Protège-moi, je t'en supplie.

Songe que je suis seule ici,

Que personne ne me comprend.

Songe que ma raison s'égare,

Que je vais mourir sans rien dire.

Je t'attends, que, d'un seul regard,

Tu rendes l'espoir à mon coeur,

Ou qu'un reproche mérité,

Hélas ! mette fin à mon rêve.

J'achève. J'ai peur de relire...

Je frémis de peur et de honte...

Mais je compte sur votre honneur.

Hardiment, je me fie en lui.




А.С.Пушкин "Письмо татьяны к Онегину"